Sally Gabori peignant. © Inge Cooper
Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori est une artiste aborigène qui a commencé à peindre à 81 ans. Pendant dix années, elle produit plusieurs milliers de tableaux, alors que sa culture ne possède pas ou très peu d’encrage graphique.
La Fondation Cartier pour l’art contemporain tient à avertir les communautés aborigènes et insulaires du détroit de Torrès que ce site contient des images et des noms de personnes aborigènes décédées. Toutes les images sur ce site sont la propriété de l’Estate Sally Gabori et de la communauté Kaiadilt. Toute utilisation sans leur permission est interdite.
Sa peinture c’est son île, sa famille, sa langue, le Kayardild. Un endroit qu’elle a laissé en 1946, évacuée par les colons australiens. Sa terre natale s’appelle l’Île Bentinck et est inhabitée aujourd’hui. C’est là où ses ancêtres vivaient depuis toujours.
L’Île Bentinck © Dan Rosendahl
Danse traditionnelle kaiadilt, photographiée par l’anthropologue australien Norman Tindale. Mission presbytérienne de l’île Mornington 1960 © South Australian Museum archives
Avril 2022, la Fondation Cartier, par l’intermédiaire de Johanna Musch et Ana Gluschankof, nous propose de réfléchir à un projet parallèle à l’exposition, une base de ressources consultables, non-linéaire, peu narrative. Du web documentaire au sens strict du terme. Quelle est l’approche juste ? Comment accompagner la découverte de cette œuvre, pour la première fois exposée en dehors de l’Australie ?
La base de données comme point de départ
Le premier réflexe à la réception des médias est de classer, thématiser, décrire, légender les sons, vidéos, peintures, paysages et cartes récoltés par la Fondation. Le site restera après l’exposition : son rôle est donc d’accompagner l’événement et de s’inscrire sur un temps long. Ça tombe plutôt bien, la notion de transmission d’un patrimoine nous plaît beaucoup.
L’intuition, c’est qu’en donnant quelques clés de lecture et en juxtaposant ces médias, on va pouvoir créer quelque chose.
Les images nous aspirent dans ce lieu, situé au nord de l’Australie, dans le Golfe de Carpentarie : des bancs de sable, des mangroves, de fins cours d’eau, des lagons d’eau douce et nénuphars.
Le travail de Sally, son histoire, son héritage, c’est un tout qui fonctionne en harmonie.
Mais la peinture… c’est souvent mystérieux, tisser des liens, oui, mais ne faut-il pas aussi laisser de l’espace.
Lorsque l’on pose deux images côte à côte, l’esprit ne peut s’empêcher de se raconter une histoire : c’est la magie de l’ellipse. C’est ce qui fait qu’on s’investit en tant que spectateur.
Nous allons créer des séquences, sans expliquer pourquoi ces images, ces vidéos sont voisines. Nous établissons quelques règles d’association (gardées secrètes dans les lignes de code). Et s’il y a autant d’interprétations qu’il y a d’observateurs, il y aura autant de médias que de séquences. Chaque clic génère un diaporama unique.
Le contenu du site est centralisé sur un immense tableau de données. Un travail de collecte d’informations et d’acquisition de droits réalisé par la Fondation Cartier qui rassemble plus de 200 médias (donc 200 stories).
Hasard et curiosité
L’idée, c’est, vous l’aurez deviné, de placer l’aléatoire au cœur de la consultation.
Une couleur piquée au hasard dans la palette de Sally pour l’introduction, puis un morceau vidéo de l’artiste en train de peindre tiré au sort dans la timeline. Avant d’accéder à la navigation, un grand zoom sur la carte, avec les zones clés de l’exposition.
Il existe 3 façons d’aborder le site :
• Par régions sur la carte : l’ordre des séquences y est préétablie, les tableaux se mélangent aux timelapses de paysages, aux enregistrements sonores. C’est la voie la plus classique.
• À gauche dans le menu, l’accès aux œuvres, aux photos d’archive et aux vidéos produites spécialement par la Fondation. En sélectionnant un média, on lance une séquence générée par la base.
• Avec la recherche : pour celles et ceux qui sont déjà familiers avec ce travail.
L’équipe autour du projet
C’est Antoine Abbou qui est nommé grand architecte de la structure du site. La gestion des contenus est administrée depuis Airtable (une sorte de tableur enrichi). Sur mobile, tous les contenus sont accessibles, seule la navigation de la carte est exclue (l’écran est trop petit ou les doigts sont trop gros, au choix).
Baptiste Duchêne assure, sous la direction de Thomas Deyriès et Gregory Trowbridge, la vision éditoriale : la place des ambiances sonores, à l’accompagnement des mécaniques de « récits » : l’enchaînement de sources si différentes, en plusieurs langues, demande de prendre soin de tous les petits détails.
Sébastien Brothier, Ellie Orain, Maëlle Rabouan et Marie Civitello viendront en renfort.
Notre espoir secret, c’est que les visiteurs de l’exposition (une borne est présente sur le parcours) et les internautes découvrent les liens entre cette peinture et tout le reste : les couleurs qui rappellent les nuances du ciel dans la course du soleil, ou les ronds scintillants de couleurs qui renvoient à l’apparition du passage des morues depuis la surface de l’eau.
Merci à l’équipe de la Fondation : Alessia, Ana, Isabelle, Johanna, Juliette, Naïa, Nick, Valentin et Solène pour leur confiance.